FNACA DE PARIS

TÉMOIGNAGE DE YOLANDE POUYET

 

Je m’appelle Yolande Pouyet, je suis née le 29 janvier 1945. J’ai connu mon mari à son retour d’Algérie. Mon mari était né le 10 novembre 1936. Il avait demandé un an de sursis. Il faut dire qu’il a eu une enfance pas facile, il était né dans une famille de sept enfants, il avait quatre soeurs, il était l’avant-dernier des garçons et le dernier garçon était né deux mois après le décès du papa. Donc ma belle-mère était toute seule avec ses enfants. Et trois vaches. Mais quand mon mari a eu l’âge de partir, son frère ainé, était en Allemagne, donc il a fallu attendre qu’il revienne pour pouvoir aider sa famille, d’où le sursis, le temps que son frère revienne.

Après ça, mon mari est parti, en 1957 je crois, vers la fin de l’année. Il a fait ses deux mois de classe à Clermont-Ferrand, et après on leur a dit qu’ils partaient en Algérie.

Ils sont partis dans des conditions déplorables, dans des wagons à bestiaux, enfermé, avec des chiens sur les quais pour les empêcher de se sauver, et la population qui criait et manifestait tout autour. Ils sont partis jusqu’à Marseille comme ça.

Je crois qu’il a embarqué sur le « Maréchal Joffre », puis il est arrivé là-bas, à Oran. Après, ce fut la caserne, dans le régiment d’infanterie alpine, où il est resté avant d’être envoyé sur les massifs de l’Ouarsenis, où ça n’a pas été drôle du tout.

Ils étaient ravitaillés par des ânes parce que c’était très pentu, qui leur apportaient à manger et à boire, quand ils le pouvaient. Mon mari m’a raconté qu’ils avaient parfois eu des boîtes de rations datant de la dernière guerre. Quand ils n’avaient pas d’eau, il leur arrivait de boire l’eau de petits ruisseaux, avant de découvrir en amont qu’un macchabée pourrissait dans l’eau. Ils avaient des capsules de sels pour empêcher la maladie, c’est tout.

Là-bas, ils ont été souvent confrontés à l’ennemi. Ils se cachaient dans la montagne, dans des grottes, ce n’était pas facile du tout, il y a eu beaucoup de combats. Un jour, on leur a tiré dessus, un collègue a été tué à ses pieds, mon mari a vu la cervelle qui battait encore, c’était horrible, c’est que c’était des Français qui leur tiraient dessus, mon mari a réussi à signaler aux tireurs qu’ils ne tiraient pas où il fallait. Il s’en est tiré avec un éclat d’obus dans la jambe qu’il s’est fait enlever pas longtemps avant de mourir parce qu’il devait passer des IRM, à cause du métal encore fiché dans sa jambe qu’il a du faire retirer. Ça n’a pas vraiment prolongé ses jours, parce que mon mari est mort d’un cancer du larynx. Une infirmière, pas très délicate, lui a dit « Vous fumez trop, monsieur ». Sauf que mon mari ne fumait pas. L’autre jour, en Auvergne, je faisais du rangement et j’ai retrouvé un de ces petits paquets de cigarettes qu’on leur donnait là-bas, en Algérie, le paquet était encore plein, il ne l’avait pas fumé.

Ils crapahutaient, ils trouvaient des jardins cultivés par des colons, ils mangeaient n’importe quoi, comme un oignon cru, ils crevaient de faim.

Mon mari est revenu une fois en permission, quand il est reparti il y avait alors un grand incendie qui ravageait Marseille, alors il a passé du temps là-bas en tant que militaire, pour aider (c’était toujours mieux que de se retrouver à crapahuter dans l’Ouarsenis), mais on a fini par le retrouver et lui intimer l’ordre de repartir dans sa section.

Mon mari a fait le peloton des gradés, un de ses chefs, au vu de ses aptitudes, lui avait conseillé de devenir gradé. Comme il avait eu une enfance difficile il n’avait pas été beaucoup à l’école, enfin il avait été à l’ école, mais à partir de Pâques, sa mère le plaçait chez des paysans où il était nourri, où il gardait les vaches, faisait les foins, mais il savait quand même lire et écrire. Mais de toute façon, pour devenir gradés, les épreuves, c’était surtout du sport, un peu comme Koh-Lanta, avec des poutres, de la boue, un grand trou dans lequel il fallait descendre, sauter un mur, etc. Il a fini quatrième, c’est comme ça qu’il devenu sous-officier, si je me souviens bien. Il parlait quand même peu parfois de l’Algérie. Mais on n’avait pas vraiment de conversations là-dessus.

Donc après Marseille, il est reparti dans les massifs, ils couchaient dehors, et le matin quand il se réveillait, il découvrait parfois un serpent ou un scorpion qui étaient venus se mettre au chaud (moi j’aurais pas pu, j’ai très peur de tout ce qui rampe). Finalement, il a fait là-bas 32 ou 34 mois, il a été maintenu, puis super-maintenu.

Quand il est revenu en permission, la première fois, il avait dit, je reviendrai plus en permission, c’était tellement dur de repartir.

Au final, quand il est revenu, il pesait 50 kilos, il était désorienté, il faisait du somnambulisme, il se levait pour aller dans les bois, sa mère le rattrapait. Oui, il a été un moment avant de s’en remettre. Parce que là-bas, ils étaient toujours sur le qui-vive.

Moi, je l’ai rencontré quand il revenait d’Algérie, ça devant être fin 61. Pendant un bal, dans un petit village. On s’est fréquentés trois ans puis on s’est mariés en juillet 64. Il a commencé à travailler dans une scierie. Les gendarmes étaient venus le voir pour qu’il entre dans la gendarmerie, comme il était gradé. Mais il fallait repartir en Algérie, alors il a dit non, pas question, je ne repartirai pas. Il connaissait un monsieur qui travaillait ici, à Paris, à la Banque de France et qui lui a dit si tu veux je te fais rentrer dans une administration, c’est comme ça qu’il est entré à la préfecture de Paris où il a fait toute sa carrière. Quant à moi, j’ai aussi passé des concours et je suis rentrée à la Caisse des dépôts et consignations. Parce que quoi faire dans un petit village d’Auvergne, avec quatre vaches ? C’était la misère… On mangeait les produits de la ferme, on ramassait des champignons pour se faire un peu d’argent, pas d’aide, ma belle-mère avec 7 enfants, elle ne touchait rien.

Mon mari était inscrit à la FNACA depuis longtemps, il aimait bien les aller là-bas, il y a eu une expo à la mairie sur la guerre d’Algérie, il avait bien aimé, mais jamais je n’ai vu d’archives ou de photos personnels de mon mari. Ils n’avaient sans doute pas le temps de prendre des photos. Je pense qu’il aurait aimé retourner en Algérie, mais on n’a pas pu, oui il aurait été curieux d’aller revoir là où il était allé. Il n’avait rien contre les Algériens, ce n’était pas spécialement de leur faute.

Mais il n’en parlait pas tellement de la guerre d’Algérie, si quelqu’un le branchait là-dessus, il en parlait, mais sinon, de lui-même non, ça n’était pas un bon souvenir.

À la fin, quand il était malade, on était à l’hôpital Curie, un infirmier qui faisait sa toilette lui a dit « Ah, vous avez fait la guerre d’Algérie ? Et est-ce que vous avez encore la nuit des cauchemars ? » Et mon mari a répondu « oui ». Alors vous voyez, deux mois avant de mourir, ils faisaient encore des cauchemars…

 

 


 

 

 

 

v